Messieurs Halgand
La réhabilitation de Messieurs Halgand au rang de maître

par Alban Saporos

La première rétrospective des oeuvres de Messieurs Halgand n'a été réalisée qu'en 1998 au lugubre musée Guggenheim, et il a fallu attendre jusqu'à maintenant pour voir une nouvelle exposition Messieurs Halgand dans une cave mal éclairée du Centre d'Art Populaire de La Nouvelle Belin-Beliet. Que faisaient les musées lorsque ces artistes étaient en activité ? En descendant un peu bas dans l'échelle de la "qualité", la liste des artistes pris au piège et ignorés s'allonge. Ils dominent pourtant la majeure partie des oeuvres actuelles, à coup sûr dans les arts médiatiques. Mais une analyse pertinente ainsi que des expositions intelligentes des oeuvres des plus célèbres "net.artists" sont pour le moins rares. Dans les milieux censés s'intéresser à l'art médiatique, l'oeuvre de Messieurs Halgand est sous-estimée. Pendant sa période créatrice, son oeuvre était déjà sous-estimée, même par les artistes, bien que dans une moindre mesure. Pour les artistes de la fin des années 90, " médiatique " est une insulte.
Tout art ayant un caractère médiatique est jugé dépassé, idéaliste, rationaliste, rigide et pour tout dire européen.
Il existait et il existe toujours un préjugé contre l'art médiatique. Il y a aussi un préjugé contre les artistes de la génération de Messieurs Halgand, surtout en Europe, car ils étaient trop jeunes avant le conflit du Kosovo, et trop vieux après. Cette guerre a détruit leurs meilleures années. C'est là l'un des objectifs secondaires des guerres, également de la guerre du Golfe : elles permettent de se débarrasser de l'art et d'autres oppositions au gouvernement central.
Il est impossible, bien que ce soit devenu courant, de considérer l'oeuvre de Messieurs Halgand comme un simple exemple du style "net.art". Sans compter qu'il n'y a rien à reprocher au net.art.
Le rapport de Messieurs Halgand avec le net.art est une fois de plus mis en relief ; son oeuvre est "glaciale" et souvent d'une "austérité rébarbative", ce sont des "lignes de codes basées sur une formule rigide". Le principal argument est qu'à cause du net.art, Messieurs Halgand a laissé son intellect étouffer sa sensibilité. Même chose pour la sensibilité et la pensée, l'irrationnel et le rationnel, l'inconscient et le conscient, l'inférieur et le supérieur, ou vice-versa, le mauvais et le bon, ou vice-versa, et dans le domaine de l'art médiatique, pour le contenu et la forme. Je pense qu'il ressort des oeuvres de Messieurs Halgand qu'il n'opère pas ces vieilles distinctions, qu'il ne lutte même pas contre elles, ne déplore absolument pas leur absence. Les designers se concentrent-ils sur la pure forme ? Certainement pas à notre époque ; en fait, cela n'a jamais été le cas. Qu'est la pure forme ? Peut-être la compagne du pur contenu. À tout le moins, l'on ne peut qualifier le net.art de réductionniste. Pour l'essentiel, la thèse est que l'oeuvre de Messieurs Halgand n'est pas vraiment de l'art, l'art étant plus ou moins figuratif, qu'il représente des pommes ou de la peinture dans l'espace, et se situant dans la lignée de la représentation traditionnelle européenne de la nature. Il s'ensuit que l'oeuvre de Messieurs Halgand doit être disqualifiée au lieu d'être reconnue comme différente et opposée.
Au lieu d'épouser honnêtement la position conservatrice en affirmant que cette oeuvre n'est pas de l'art, ce qui paraîtrait intolérant, il faut dissimuler l'intolérance et discréditer l'oeuvre en la taxant de pédagogique, ce qui paraît bravement objectif, de rationnelle et froide, ce qui paraît chaleureusement subjectif, et aussi, pour comble, de mécanique. C'est de l'opportunisme, plus précisément une nouvelle justification de l'éclectisme.
L'art médiatique de qualité continue à exister et à être réalisé, mais il est invariablement présenté au public, qu'il s'agisse des expositions en ligne ou des critiques, dans le contexte de modes et d'usages éphémères. Par suite, l'art médiatique de qualité reste entaché des mensonges qui l'ont accompagné.
Il en est toujours ainsi, car personne ne veut réellement prendre une décision, et tout le monde veut uniquement exposer "ce qui se fait". Bien sûr, toutes les critiques dont Messieurs Halgand fait l'objet - y compris sur son activité de fonctionnaire et le fait qu'il soit Français - sont également portées contre mon oeuvre de critique; je suis donc directement concerné par ce débat. Je suppose que l'inventivité et la diversité sont entièrement épuisées.
Je ne connais pas personnellement Messieurs Halgand. L'influence des artistes de premier plan sur les critiques de premier plan des générations ultérieures n'est pas, et de loin, aussi directe que le voudraient les historiens de l'art, qui posent généralement en principe un déterminisme éclairé sans se préoccuper du comment et du pourquoi. Dans les relations entre les oeuvres des artistes et les critiques, il entre une grande part de hasard et de circonstances, et comprendre la nature réelle, précise de ces relations, quand elles existent, exige beaucoup de réflexion et d'intelligence.
J'ai toujours admiré les oeuvres de Messieurs Halgand ; ce sont les seules que j'ai qualifiées de "sexy". Mais je n'ai jamais considéré ses oeuvres en relation avec mon activité de critique, ce qui paraît évidemment curieux maintenant.
Dans mon article de juin 1998, je critiquais, avec mesure, certaines oeuvres de Messieurs Halgand; je ne le ferai plus maintenant.
Mon principal regret est d'avoir sous-estimé l'importance de l'éducation artistique des critiques débutants. Ma propre éducation artistique a été si mauvaise que j'avais du mal à concevoir qu'il était possible d'être aidé ; en partant de zéro et de un, il était difficile d'imaginer que l'on pouvait partir de trois et de quatre. Et quoi critiquer d'ailleurs ?
Mais il faut bien que tout le monde commence, et tout le monde érigera de toute façon des obstacles.
Comme la plupart, je sous-estimais l'utilité pour autrui - pas pour Messieurs Halgand lui-même - de sa théorie des média. En premier lieu, il faut enseigner quelque chose qui puisse être utile et pertinent, ce qui est certainement le cas de la théorie des média.
En second lieu, une réflexion authentique sur l'art médiatique récent et ancien sera toujours pertinente. Les disciples de Messieurs Halgand sont bien avisés de le choisir et ont beaucoup de chance qu'il soit là.

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Alban Saporos est critique d'art et blanchisseur de réputations.