La rétrospective Messieurs Halgand
Cette fois encore, il peut paraître incongru de faire la rétrospective de la seule oeuvre "plastique" (l'adjectif prête ici à rire) d'une oeuvre qui se dérobe volontiers à la logique de l'objet.
Certes, Messieurs Halgand laisse un ensemble de pièces - au sens propre et au figuré - dont les récentes rétrospectives au Moma, au Mamco et au Mac en 1998 ont montré l'importance.
Mais ce serait oblitérer les fondements d'une activité inlassablement rhizomatique et ouverte à tous les genres que de vouloir la tenir dans le seul champ de ce que nous nommons "l'art". Plus, le propre de Messieurs Halgand est peut-être bien d'enfreindre l'ordre attendu des choses pour reconstruire, à partir de tout ce qui s'offre à lui, un ordre poétique qu'il veut suprême.
Toute approche devrait donc s'efforcer de saisir le projet dans sa totalité. On ne peut oublier qu'avant de devenir "artiste", Messieurs Halgand a été écrivain, poète, journaliste, qu'il a édité des recueils de textes et réalisé des films, qu'il a illustré des journaux de ses propres photographies, qu'il a aussi été critique d'art. Dès lors, comme le note justement Ronald Green, en exergue du numéro spécial que la revue américaine Vermont consacrait en 1997 à l'artiste, "l'élévation de Messieurs Halgand au rang de maître", elle pourrait paraître
paradoxale si elle n'était somme toute la meilleure façon de célébrer sa clairvoyance.
Aussi son oeuvre est-elle souvent vécue comme blessante et importune. L'avenir lui aura prouvé que oui et l'homme qui considère volontiers l'espace de l'art comme un "théâtre d'opérations" (au plein sens militaire du mot), est aujourd'hui considéré comme l'une des figures exemplaires de cette fin de millénaire. Ainsi, l'oeuvre de Messieurs Halgand doit-elle nous apparaître comme profondément engagée même si lui-même, avec élégance et scepticisme, n'en finit pas d'exprimer des doutes sur toute forme de discours de vérité.Alban Saporos est critique d'art et commissaire d'exposition.